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« Laudato si’, mi’ Signore ! »

19 juin 2015

« Laudato si’, mi’ Signore ! »« Loué sois-tu, mon Seigneur ! » …Un billet de blog ne suffirait à rendre compte de l’allégresse qui m’inonde depuis la parution, hier, du texte historique du pape François qui commence par ces mots de louange que nous devons à St François d’Assise !

Un billet de blog ne suffirait bien sûr pas non plus à rendre compte d’un tel texte, qui opère la synthèse des réflexions menées par papes et évêques depuis bien longtemps – n’en déplaise à France Inter. Mais, comme bien d’autres, me voilà m’attelant à la tâche d’en parler… En espérant bien sûr donner envie de lire le texte dans son intégralité.

L’encyclique commence par des mots de louange, mais ne cache pas sa gravité – dès le début, le pape François rappelle comment Jean XXIII s’était adressé à tous les hommes de bonne volonté « quand le monde vacillait au bord d’une crise nucléaire » [§3]. Or « il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale » [§139]. Et elle est tout aussi grave : si le pape affirme d’emblée que son texte ne peut être minimisé par un catholique car il « s’ajoute au Magistère social de l’Église » [§15], c’est qu’il y a « urgence » [Ibid.] !

Et la première urgence, c’est sans doute de trouver « le courage de nous rendre compte de la réalité d’un monde limité et fini » [§56], courage que nous ôte « une distraction constante » [Ibid.] savamment entretenue par « la logique des finances et de la technocratie » [§194] – ainsi, par exemple, « la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduit d’ordinaire à une série d’actions de marketing et d’image » [Ibid.].

Il nous faut trouver le courage de reconnaître « la racine humaine » des « symptômes de la crise écologique » [§101] ; reconnaître, face au réchauffement climatique, « les causes humaines qui le provoquent ou l’accentuent » [§23] ; reconnaître que nous sommes confrontés à « un système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers » [§52] où règne « la soumission de la politique à la technologie et aux finances » [§54] ; reconnaître aussi notre responsabilité individuelle, puisque ce « drame de l’immédiateté politique » est « soutenu par des populations consuméristes » [§178] ; reconnaître également, lorsqu’on est européen, notre « dette écologique, particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux » [§51], dette qui implique « des responsabilités diversifiées » [§52].

Il nous faut « regarder la réalité d’une autre manière » [§114], « prêter de nouveau attention à la réalité avec les limites qu’elle impose » [§116]. « L’homme et la femme du monde post-moderne courent le risque permanent de devenir profondément individualistes » [§162] alors que… « Tout est lié ! »

« Tout est lié, et la protection authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité aux autres » [§70] ; « Tout est lié. Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains » [§91] ; « Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une personne vivant une situation de handicap – pour prendre seulement quelques exemples – on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même. Tout est lié. Si l’être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, la base même de son existence s’écroule » [§117]. « Nous ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la nature et à l’environnement sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être humain (…)  On ne peut pas envisager une relation avec l’environnement isolée de la relation avec les autres personnes et avec Dieu. Ce serait un individualisme romantique, déguisé en beauté écologique, et un enfermement asphyxiant dans l’immanence » [§115].

La mention de Dieu dans la citation qui précède va hérisser certains militants laïcs, tout comme la remise en question du système économique hérisse les libéraux, la défense de l’écologie hérisse les milieux se revendiquant « pro life », la lutte contre l’avortement et l’eugénisme hérisse les partisans des « nouvelles moeurs »… Mais si l’on accepte que « tout est lié », alors il faut accepter qu’aucun croyant ne peut regarder la réalité sans la relier à Dieu. « Si nous cherchons vraiment à construire une écologie qui nous permette de restaurer tout ce que nous avons détruit, alors aucune branche des sciences et aucune forme de sagesse ne peut être laissée de côté, la sagesse religieuse non plus, avec son langage propre. » [§63].

C’est pourquoi le pape François tient à « montrer dès le départ comment les convictions de la foi offrent aux chrétiens, et aussi à d’autres croyants, de grandes motivations pour la protection de la nature et des frères et sœurs les plus fragiles » [§64]

Et de dire à tous comment « nous ne pouvons pas avoir une spiritualité qui oublie le Dieu tout-puissant et créateur. Autrement, nous finirions par adorer d’autres pouvoirs du monde, ou bien nous nous prendrions la place du Seigneur au point de prétendre piétiner la réalité créée par lui, sans connaître de limite » [§75] ; comment « vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel » [§217] ; comment « la spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété » [§222] ; comment « outre l’Église catholique, d’autres Églises et Communautés chrétiennes – comme aussi d’autres religions – ont nourri une grande préoccupation et une précieuse réflexion sur ces thèmes qui nous préoccupent tous » [§7] …

Le pape François montre dès le début de son Encyclique que cette dernière remarque n’est pas simple convenance en citant à plusieurs reprises le patriarche œcuménique Bartholomée, dont les préoccupations écologiques ne sont pas nouvelles, qui « s’est référé particulièrement à la nécessité de se repentir, chacun, de ses propres façons de porter préjudice à la planète » [§8] et qui a « attiré l’attention sur les racines éthiques et spirituelles des problèmes environnementaux qui demandent que nous trouvions des solutions non seulement grâce à la technique mais encore à travers un changement de la part de l’être humain » [§9].

Catholique marié avec une musulmane, je ne peux pour ma part conclure ce billet, posté sur un blog collectif dédié à l’interreligieux, sans proposer quelques passerelles avec les musulmans. Après tout, la date de la publication de cette Encyclique n’est-elle pas également pour eux celle du premier jour du mois de Ramadan ? Ne peut-on trouver significatif qu’un écrit du pape vantant la sobriété soit publié le jour où ces croyants entament un temps de jeûne et de ressourcement spirituel ? Temps de relecture du Coran, qui leur dit que  « dans la création des cieux et de la terre, et dans l’alternance de la nuit et du jour, il y a certes des signes pour les doués d’intelligence, qui, debout, assis, couchés sur leurs côtés, invoquent Allah et méditent sur la création des cieux et de la terre ? » (Coran III, 190-191) ; que  « c’est devant Dieu que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que nombre de gens » (Coran XXII, 18) ; que l’homme est le « vicaire » de la Création (Coran II, 30) ; qu’il faut donner « au proche parent ce qui lui est dû ainsi qu’au pauvre et au voyageur. Et ne gaspille pas indûment ! » (Coran XVII, 26)…

Citer le Coran par les temps qui courent a le don d’hérisser certains ; je ne peux que les inviter à contempler le monde qui nous entoure pour retrouver leur sérénité en redécouvrant, comme nous y invite le pape, l’émerveillement face à la Création : « La nature est pleine de mots d’amour, mais comment pourrons-nous les écouter au milieu du bruit constant, de la distraction permanente et anxieuse, ou du culte de l’apparence ? » [§225].

Un émerveillement qui doit aller de pair avec le fait d’« oser transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde, et ainsi de reconnaître la contribution que chacun peut apporter » [§19].

Ensemble, conscients des liens qui nous unissent, mettons-nous en marche !

« Tout est lié, et, comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et des sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre » [§92].

Quand je vois les cieux, œuvres de Tes doigts,
la lune et les étoiles que Tu as créées, je dis :
Qu’est donc l’homme, pour que tu te souviennes de lui ?
(Ps VIII, 4-5)

par Ren’

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